Les Stoclet, couple hors du commun de mécènes belges
Ces dernières semaines, le Palais Stoclet a défrayé la chronique. Tout d’abord, et c’est important, il y a, en ce moment, aux Musées Royaux du Cinquantenaire, la superbe exposition dédiée au génial créateur du palais bruxellois, Josef Hoffmann (considéré comme le maître de la Sécession viennoise). Parallèlement à cet événement, il y a eu récemment la vente de la collection de Philippe Stoclet par la maison de vente Bonhams. Enfin et surtout, il faut rappeler que la Secrétaire d’Etat au Patrimoine, Ans Persoons, tente d’imposer le décret permettant de rendre le Palais Stoclet accessible au public. Cette triple actualité me fournit donc l’occasion de vous rappeler la story d’Adolphe et Suzanne Stoclet. Cet incroyable couple de collectionneurs, épris d’amour et d’art, n’a pas d’équivalent en Belgique, si ce n’est peut-être David et Alice van Buuren…
Adolphe Stoclet (1871-1949) était le fils de Victor Stoclet (1843-1904). Celui-ci faisait partie de ces leaders de l’économie belge qui ont marqué le règne de Léopold II, au même titre qu’Ernest Solvay (1838-1922), Edouard Empain (1852-1929) ou Raoul Warocqué (1870-1917). Adolphe Stoclet avait épousé, au grand dam de ses parents, Suzanne Stevens, fille d’Arthur Stevens, critique d’art. Suzanne était par ailleurs la nièce des peintres Alfred Stevens et Joseph Stevens. Elle était également la tante de l’architecte Robert Mallet-Stevens. C’est elle qui initia Adolphe à l’art…
C’est en 1905 que débutèrent les travaux du fameux Palais Stoclet, situé à Woluwe-Saint-Pierre au numéro 279-281 de l’Avenue de Tervueren (si chère à Léopold II). Hoffmann avait carte blanche et budget illimité. Il lui fallut 6 ans pour terminer le chef d’œuvre de sa carrière. Aujourd’hui, il est permis de dire que cet immeuble (qui oscille entre l’Art Nouveau, l’Art Déco et le modernisme) est probablement le symbole le plus abouti de l’art total (Gesamtkunstwerk). L’hôtel particulier d’Adolphe et Suzanne Stoclet fut, en effet, le fruit du travail commun d’artisans de la célèbre Wiener Werkstätte et d’artistes aussi renommés que Gustav Klimt, George Minne ou Fernand Khnopff. Le Palais Stoclet fut inscrit en juin 2009 par l’UNESCO sur la liste du patrimoine mondial de l’Humanité. Il est l’acte fondateur d’une vision originale et d’un goût renouvelé pour l’art et l’architecture…
Adolphe et Suzanne Stoclet s’installèrent dans leur temple du beau en 1911. Ils y vécurent jusqu’en 1949, traversant deux guerres mondiales. Ils dédièrent leur demeure entièrement à l’art. Pendant plus de 35 ans, ils y accumulèrent les œuvres les plus variées pour constituer une collection unique que d’aucuns appelèrent le « Stocleon » : antiquité égyptienne, antiquité grecque, art chinois, art japonais, art africain, primitifs italiens… Comme l’écrivit le marchand d’art parisien Jacques Seligmann, « l’acte de collectionner irriguait en quelque sorte la vie des Stoclet ».
Adolphe et Suzanne Stoclet ont toujours refusé d’accueillir le monde des affaires dans leur fantastique bâtisse. Ils préféraient recevoir les plus grands créateurs, peintres, sculpteurs, musiciens, écrivains, cinéastes, acteurs, danseurs,… Leur livre d’or fait ainsi référence à Jean Cocteau, Anatole France, Sacha Guitry, Darius Milhaud, Serge de Diaghilev, Igor Stravinsky,… Ils sont morts en novembre 1949 à quinze jours de distance. Sans doute ont-ils voulu rejoindre ensemble le paradis des artistes… Ce n’est pas par hasard si certains comparent le Palais Stoclet au Taj Mahal : cet édifice n’est-il pas le symbole absolu de l’amour qu’Adolphe Stoclet portait à son épouse ?
Paul Grosjean
Chroniqueur / Auteur / Narrateur
+32 477 336 322