Premier Forum des Trésors de Bruxelles
Proposition de médiation sur le Palais Stoclet
Ce mercredi 31 janvier 2024, dans le cadre hautement symbolique de la Salle du Conseil de la Ville de Bruxelles, à Brucity, s’est déroulé le premier Forum des Trésors de Bruxelles, marquant le lancement officiel du label « Trésors de Bruxelles » par le groupe Ventures Media. Les discussions furent dédiées à la problématique des palais bruxellois au travers de 3 cas emblématiques : le Palais de la Bourse, le Palais Stoclet et le Palais de Justice. On put ainsi entendre à ces sujets les points de vue de toutes les parties prenantes du patrimoine bruxellois : monde politique, sphère administrative, milieu associatif, secteur architectural… Le défi était de tenter de trouver des réponses durables aux enjeux majeurs de ces 3 immeubles iconiques. A la recherche du bon usage des palais bruxellois…
Le premier débat, concernant le niveau communal, fut consacré à un bâtiment, à l’origine édifice privatif, aujourd’hui espace public, en l’occurrence le Palais de la Bourse. Tout le monde salua la qualité du travail de rénovation effectué par les architectes sélectionnés par la Ville de Bruxelles, représentés dans le panel par Nicolas Bouquelle (Bureau d’Etudes en Architecture Urbaine). A partir de là, les deux autres interlocuteurs dressèrent leur premier bilan quelques mois après l’ouverture du palais. Geoffroy Coomans de Brachène se focalisa ainsi sur les mauvais chiffres de fréquentation du Musée International de la Bière. Avec 300 visiteurs par jour, le projet ne peut pas être rentable. Le conseiller communal MR suggéra dès lors d’améliorer le marketing. Marion Alecian, quant à elle, maintint ses critiques sur la folklorisation du centre de Bruxelles qui se ferait au détriment de ses habitants. Mais la Directrice de l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines (ARAU) réagit surtout à l’actualité du jour portant sur un autre palais bruxellois. Selon EUROPA NOSTRA, le Palais du Midi fait partie des 11 monuments les plus en danger en Europe. Cette mauvaise nouvelle ne fait hélas que renforcer le bien-fondé de la demande de classement du Palais du Midi introduite au mois de juillet par l’ARAU.
Un autre débat, encore plus au cœur de l’actualité, fut évidemment celui dédié au Palais Stoclet. Cette fois-ci, la discussion, placée au niveau régional, porta sur l’ouverture au public de ce bien privé d’exception. En préambule, l’architecte Francis Metzger, qui avait eu le privilège de visiter récemment les lieux, précisa que le bâtiment, entretenu par la famille Stoclet, était en bon état. Ans Persoons, Secrétaire d’Etat au Patrimoine, répéta sa volonté d’ouverture au public de ce joyau inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis juin 2009. Prenant exemple sur l’Hôtel Solvay, elle indiqua que cette démarche ne provoque pas de nuisance si elle est réalisée de manière limitée et contrôlée. Comme ce fut le cas avant 2002 lorsque le palais de l’Avenue de Tervueren était accessible périodiquement à l’occasion de concerts organisés par le Palais des Beaux-Arts… Enfin, la Secrétaire d’Etat Vooruit précisa que son projet d’ordonnance, visant à obliger l’ouverture du bâtiment 10 jours par an, progresse bien dans la mesure où il vient de recevoir un avis favorable du Conseil d’Etat. Benoît Cerexhe (Les Engagés), Bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, abonda, quant à lui, dans le sens d’Ans Persoons, affirmant que les immeubles bénéficiant de subsides devaient être ouverts au public. Il regretta de ne pas avoir pu rencontrer les héritiers actuels alors qu’il avait pu visiter le Palais Stoclet du temps de la génération précédente. Enfin, Véronique de Limburg Stirum, future Présidente de l’Association Royale des Demeures Historiques de Belgique, confirma que le principe d’ouverture de tout bien patrimonial au public est parfaitement respectable. Néanmoins, elle rappela qu’il n’y avait aucune justification légale à ce qu’on oblige un propriétaire privé à ouvrir son bien au public. Elle regretta l’attitude négative de la Secrétaire d’Etat à l’égard des descendants d’Adolphe et de Suzanne Stoclet qui mériteraient, selon elle, au contraire, qu’on les remercie pour le travail effectué en vue de conserver ce bien classé. En d’autres termes, elle précisa que pour susciter l’ouverture, il est indispensable au préalable de favoriser le dialogue et de créer la confiance. Prenant cette recommandation à la lettre, le président de séance proposa que l’Association Royale des Demeures Historiques de Belgique prenne l’initiative d’une médiation entre la Secrétaire d’Etat et la famille Stoclet. Ans Persoons et Véronique de Limburg Stirum acquiescèrent. Affaire à suivre donc…
Pour terminer, les discussions furent orientées vers la dimension fédérale, abordant la question de l’affectation définitive du Palais de Justice. Comme le confirma Jean-Pierre Buyle (Fondation Poelaert), sur ce plan, on vient de loin. Il rappela ainsi l’incroyable saga de la transformation du palais cher à Joseph Poelaert. Lors du premier appel à projets, il fut même question de détruire le palais et de reconstituer les rues du 19ème siècle. On évoqua également l’idée d’un bâtiment mixte en incluant un centre commercial dans l’enceinte. Heureusement, un processus vertueux put s’enclencher à partir du moment où Koen Geens, alors Ministre de la Justice, mit sur pied un comité d’organisation. Aujourd’hui, il est acté que les façades extérieures seront rénovées d’ici 2030. Les fameux échafaudages appartiendront alors au passé. Mais le plus important est que l’affectation judiciaire du bâtiment est confirmée. Selon Francis Metzger, ce choix est tout à fait logique. Quand on relit les écrits de Victor Horta sur le Palais de Justice, on en est convaincu. Maintenant, le débat est de savoir quels seront les besoins réels de la Justice au 21ème siècle afin de reconfigurer le palais dans le sens du futur. Quid des modes alternatifs de justice ? Quelle sera la place de l’intelligence artificielle ? Faut-il fusionner les centres de savoir ? Peut-on envisager les audiences par vidéoconférence ? Face à ces questionnements, Jean de Codt, Président de la Cour de Cassation, fut formel : même s’il est évidemment nécessaire d’intégrer la modernité, il importe toujours de garder à l’esprit que l’exercice de la justice est intemporel. Dans un état démocratique, ce pouvoir doit être inaltérable.
Il appartint dès lors à Constantin Chariot de tirer les conclusions, sur le plan philosophique, de ce premier Forum des Trésors de Bruxelles. Notre Historien de l’Art ne put que constater que les 3 palais recouvrent des identités, des statuts, des destins très différents. Et, néanmoins, il y a une question centrale que nous devons tous nous poser : que fait-on avec le passé ? A cela s’ajoute une autre interrogation qui concerne tout le monde : que donne l’Etat et que prend l’Etat ? Pour lui, le principe fondamental est de laisser libre cours à celles et ceux qui gèrent patrimoine…
Paul Grosjean
Chroniqueur/Patrimoine bruxellois
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