Chronique n° 45 du 15 juillet 2024

A la rencontre d’Adolphe et Suzanne (Saga Stoclet/Episode 1)

 Il y a très exactement 75 ans disparaissaient (quasi simultanément) Adolphe et Suzanne Stoclet dont le palais éponyme est un des chefs d’œuvre de l’art du 20e siècle. Cet anniversaire justifie que notre saga de l’été soit dédiée à ce fameux Palais Stoclet dont Bruxelles peut s’enorgueillir. En 6 épisodes, toutes les semaines, jusqu’au 19 août, nous allons vous conter les différentes facettes de cette story qui démarra le 8 avril 1905 lorsque les époux Stoclet signèrent l’acte d’achat d’un terrain sis au 279 de l’Avenue de Tervueren. Aujourd’hui, ce premier épisode va donc tenter de vous faire découvrir ce couple mythique. Ensuite, nous vous présenterons le concepteur du projet, en l’occurrence le génial architecte autrichien Josef Hoffmann. Par après, il s’agira de vous raconter le chantier qui dura 6 ans entre 1905 et 1911. Puis, il conviendra d’évoquer la vie des Stoclet dans leur palais entre 1911 et 1949. Toute comme nous décrirons l’histoire du palais après les époux Stoclet entre 1949 et de nos jours. Enfin, nous aborderons la question délicate de la pérennisation de ce trésor de Bruxelles. Bonne dégustation…

Adolphe Stoclet (1871-1949) était le fils de Victor Stoclet (1843-1904) et le petit-fils d’Adolphe Stoclet (1814-1892). Ce dernier (qui était né à Gembloux) peut être considéré comme le fondateur de la dynastie. C’est lui qui amorça la splendeur familiale. Ce bourgeois conquérant, issu d’une famille de couteliers, développa un patrimoine foncier en s’appuyant notamment sur la Générale. Son fils, Victor Ier, poursuivit l’œuvre du père et consolida la fortune familiale. Il faisait partie de ces leaders de l’économie belge qui ont marqué le règne de Léopold II, au même titre qu’Ernest Solvay (1838-1922), Edouard Empain (1852-1929) ou Raoul Warocqué (1870-1917). Outre Adolphe, il y avait deux autres enfants : Victor qui mourut prématurément en 1903 et Laure, épouse d’Adrien de Ribaucourt, qui décéda en 1960.

Adolphe Stoclet, plutôt rebelle, était le contraire d’un homme d’affaires. Il avait épousé, en 1896, au grand dam de ses parents, Suzanne Stevens, qu’il avait rencontrée à Paris. Celle-ci était la fille d’Arthur Stevens (1825-1890), critique et marchand d’art. Suzanne était par ailleurs la nièce des peintres Joseph Stevens (1816-1892) et Alfred Stevens (1823-1906). En vérité, les trois frères Stevens étaient tous versés dans l’art. Joseph était un peintre animalier et un graveur. Il jouissait de l’admiration du célèbre peintre français Gustave Courbet. Il fut un pionnier du réalisme dans l’art belge. Alfred fut sans doute le plus connu. Elève d’Ingres à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris à partir de 1844, sa carrière connut une ascension fulgurante tant en Belgique qu’en France où il passa la plus grande partie de sa vie. Très introduit dans les milieux artistiques et mondains de la capitale française, il était l’ami d’Edouard Manet, de Berthe Morisot et d’Alexandre Dumas fils. Enfin, Arthur Stevens, beau-père d’Adolphe Stoclet, épousa, en première noce, Mathilde Kindt (1833-1886) qui recevait, dans son salon littéraire de Paris, Emile Zola, Victor Hugo, Guy de Maupassant et Paul Verlaine. Leur seconde fille, Juliette, était la mère du célèbre architecte Robert Mallet-Stevens (1886-1945). En seconde noce, Arthur Stevens épousa Elisa Collart (1841-1929), maman de Suzanne. En tant qu’expert, il défendait les peintres français auprès des collectionneurs belges, dont Léopold II. En réalité, il faisait partie des grands marchands d’art de l’époque au même titre que Paul Durand-Ruel. Bref, il est permis de dire que Suzanne Stevens évolua dans un véritable bouillon culturel. C’est elle qui initia Adolphe Stoclet à l’art. Impossible de mesurer la dimension artistique du Palais Stoclet sans se référer à l’influence de Suzanne Stoclet. Suite au prochain épisode sur Josef Hoffmann…

Paul Grosjean

Chroniqueur  bruxellois

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