Chronique n° 46 du 22 juillet 2024

Josef Hoffmann ou le génie total (Saga Stoclet/Episode 2)

 Ne confondons pas mécène et créateur. Si Adolphe et Suzanne Stoclet ont permis la réalisation d’un véritable chef d’œuvre, n’oublions surtout pas que Josef Hoffmann (1870-1956) en fut l’auteur. Incarnation majeure du modernisme viennois, figure de proue de la Sécession viennoise, cofondateur de la Wiener Werkstätte, il se présentait comme un « architecte » alors que ce vocable ne recouvrait qu’une partie de ses créations. Sans établir la moindre hiérarchie entre l’architecture et les arts décoratifs, il concevait des villas et des logements sociaux avec autant de liberté qu’il n’imaginait des expositions, des services à thé, des créations textiles ou des chaises. En vérité, en étant tout à la fois architecte, designer et entrepreneur, il pratiquait l’art total (Gesamtkunstwerk). Pour vous en convaincre, je vous invite à découvrir, si vous en avez l’occasion, le superbe catalogue (édité par Hannibal) de l’exposition « Josef Hoffmann, sous le charme de la beauté » (qui s’est récemment tenue au Cinquantenaire). Sinon, je vous conseille tout simplement d’aller à Vienne et d’y visiter le MAK Museum…

Josef Hoffmann naquit à Brntice (aujourd’hui en République tchèque) le 15 décembre 1870 à la grande époque de l’Empire austro-hongrois. Il commença par étudier l’architecture à Vienne au sein de l’Académie des Beaux-Arts, notamment auprès d’Otto Wagner. A la fin de ses études, il remporta le Prix de Rome, ce qui lui permit d’y faire un séjour d’un an. De retour à Vienne, très rapidement, en réaction à l’académisme officiel, il créa, en 1897, la Sécession viennoise avec un groupe d’artistes d’avant-garde : Gustav Klimt, Koloman Moser, Joseph Maria Olbrich, Carl Moll… En 1903, avec son ami Koloman Moser, il franchit un nouveau cap en lançant les « WW » ou Wiener Werkstätte (ateliers viennois) qui produisait des meubles et des objets domestiques de qualité. En fait, très tôt, il manifesta de l’intérêt pour la décoration et les arts appliqués…

La carrière artistique de Josef Hoffmann fut longue. Son œuvre est difficile à résumer sans tomber dans le simplisme. Si ses premières créations s’inscrivirent plutôt dans le style Art Nouveau d’inspiration française, il évolua ensuite vers l’abstraction. Avec Adolf Loos, il devint le fer de lance du dépouillement intégral dans l’architecture moderne. En fait, ces deux architectes eurent une influence considérable sur leurs confrères et consoeurs, notamment à Bruxelles sur Henry Van de Velde, fondateur de l’Ecole de la Cambre. Assurément, leur radicalité préfigurait le Modernisme. Le Palais Stoclet en était la meilleure illustration…

Comme l’ont écrit Bruno Verbergt et Paul Dujardin, Josef Hoffmann restera dans l’Histoire comme l’un des plus beaux exemples de la beauté moderniste. Son design a marqué le XXe siècle par le choix moderne des matériaux, l’usage de la couleur et la géométrie. Son talent fut sans limite et son aspiration à la beauté insatiable. Tout en tenant compte de la tradition, il privilégiait une approche novatrice. Indépendamment de la mode, de l’évolution des idéologies qui l’entouraient et des conditions sociales, il est resté fidèle à lui-même et à ses normes créatives. Par son enseignement, sa présence dans de nombreuses expositions internationales et sa longévité, il a touché plusieurs générations d’amoureux de l’art. Mais c’est surtout sa quête de la modernité, son élévation spirituelle à travers la beauté et sa recherche de la pureté des formes qui ont inspiré des milliers d’architectes et de designers à travers le monde. Il était convaincu que l’art avait pour vertu de « guérir » l’âme humaine par le biais de la beauté ! Pour que tous ces beaux principes vous soient plus concrets, nous vous ferons entrer, la semaine prochaine, dans les coulisses du long chantier du Palais Stoclet entre 1905 et 1911. Affaire à suivre… 

Paul Grosjean

Chroniqueur bruxellois

+32 477 336 322

paul@metropaul.brussels