Et le Palais Stoclet fut livré en 1911… (Saga Stoclet/Episode 3)
C’est en janvier 1903 qu’Adolphe et Suzanne Stoclet arrivèrent à Vienne (en provenance de Milan). Quelques semaines plus tard, selon la légende, lors d’une promenade, dans le 19e district de la capitale autrichienne, ils découvrirent une maison devant laquelle ils tombèrent en pâmoison. Poussés par leur curiosité, ils pénétrèrent dans le jardin où ils finirent par rencontrer le propriétaire, en l’occurrence Carl Moll (1861-1945). Le célèbre peintre autrichien lâcha alors aux Stoclet le nom de l’architecte de sa demeure : Josef Hoffmann. L’année suivante, Adolphe Stoclet confiait à ce dernier la conception de sa maison à Bruxelles…
Comme l’indique Michel Dumoulin dans son remarquable opus Les Stoclet, microcosme d’ambitions et de passions (Editions LE CRI), c’est en 1904, à la suite des décès, en très peu de temps, de sa grand-mère, de son père et de son frère, qu’Adolphe Stoclet dut quitter l’Autriche et rentrer au pays. Il s’installa alors avec sa femme et ses enfants dans l’hôtel familial du Boulevard du Régent. Et c’est le 31 mars 1905 qu’il fit l’acquisition d’un terrain situé à front de l’Avenue de Tervueren, aux numéros 279 et 281, sur le territoire de la commune de Woluwe-Saint-Pierre. Une seconde parcelle fut achetée le 14 octobre 1909, portant la superficie de la propriété à un peu plus de 68 ares. Il faut préciser que cette localisation n’était pas due au hasard. Cette avenue (qui s’inscrivait dans la vision urbanistique de Léopold II) présentait, en fait, de nombreuses similitudes avec les artères viennoises…
Josef Hoffmann, qui avait reçu carte blanche des Stoclet sur le plan esthétique, ne devait, par ailleurs, pas tenir compte des contraintes budgétaires. Le chantier (autorisé à la fin de juillet 1906) pouvait dès lors commencer. Attribué à l’entrepreneur Ed. François et Fils, il était placé sous la supervision de l’architecte autrichien Emil Gerzabek. Pour tous les protagonistes, ce fut le parcours du combattant… Les retards allaient s’accumuler, non pas à cause du gros œuvre ou des travaux de l’installation électrique, mais bien pour des raisons purement artistiques. Clairement, l’accouchement de cette « œuvre totale » nécessitait une coordination particulièrement subtile entre les concepteurs et les réalisateurs. D’autant qu’il fallait également veiller à la bonne harmonie entre les artistes autrichiens et les artistes belges. En effet, Adolphe et Suzanne ne voulaient pas s’appuyer uniquement sur la crème de la Sécession viennoise (Koloman Moser, Carl Otto Czeschka, Gustav Klimt…). Ils tenaient aussi à impliquer des créateurs belges (Adolphe Crespin, Georges Minne, Fernand Khnopff…). Enfin, les difficultés financières de la Wiener Werkstätte accentuaient la pression. C’est dans cette ambiance, plutôt tendue, que se déroula le chantier…
Léopold II (qui décéda en 1909) ne vit jamais la maison achevée. Il en savait néanmoins assez pour décréter, de son vivant, que cette demeure ne pourrait jamais correspondre à l’esprit de « son » Avenue de Tervueren à cause de son style « modernisant ». En outre, la façade principale était orientée plein sud du côté du jardin (qui était l’un des éléments de l’œuvre totale). Si tant est que tout visiteur, venant de l’espace public, pénétrait forcément le bâtiment par… son arrière ! De qui irriter encore plus notre Roi bâtisseur… Finalement, malgré cette anomalie, Adolphe, Suzanne et leurs trois enfants se retrouvèrent, à l’approche du printemps 1911, dans la Maison Stoclet (pas encore intronisée Palais Stoclet). En réalité, les époux Stoclet allaient y vivre 38 ans. Mais cela est une autre histoire que je vous raconterai la semaine prochaine…
Paul Grosjean
Chroniqueur bruxellois
+32 477 336 322
paul@metropaul.brussels