Et si on reparlait de la Baronne Stoclet ? (Saga Stoclet/Episode 5)
Dans ses dernières volontés confiées à son épouse, Adolphe Stoclet exprimait clairement que le culte de l’amour et le culte de la beauté devaient être les vertus cardinales de la famille Stoclet. Il demandait également que sa demeure soit remise dans son état primitif. 75 ans après son décès, on peut affirmer que ses vœux ont été en grande partie exaucés. Et si tel est le cas, c’est principalement dû à sa belle-fille, Anna Geerts (1907-2002), épouse de son fils cadet, Jacques Stoclet (1903-1961). Rappelons qu’elle séjourna dans le Palais Stoclet un demi-siècle, soit douze années de plus qu’Adolphe et Suzanne eux-mêmes. Celle qui fut la dernière occupante familiale du Palais joua un rôle essentiel dans la pérennisation de l’œuvre d’Adolphe et Suzanne Stoclet…
C’est en 1952, soit quasiment 3 années à la suite des décès de son père et de sa mère, que Jacques Stoclet s’installa dans le Palais Stoclet, en compagnie de son épouse Anna et de ses quatre filles, Catherine, Dominique, Aude, Nele. C’est lui qui organisa la fameuse fête du 4 octobre 1955, célébrant en la présence de Josef Hoffmann le 50e anniversaire du début des travaux. Six ans après ce gala mémorable, il décéda (à l’âge de 58 ans). Par la suite, Anny, comme on la surnommait à l’époque, allait encore animer la maison pendant 41 ans. Après son décès, à 94 ans, en 2002, aucun membre de la famille Stoclet n’a plus jamais habité le palais éponyme. En résumé, en dehors des enfants, le Palais Stoclet, depuis sa création, n’a été occupé que par 4 Stoclet à l’âge adulte : Adolphe et Suzanne entre 1911 et 1949, Jacques entre 1952 et 1961, Anny entre 1952 et 2002. Cela fait donc 22 ans que le seul occupant de cette maison exceptionnelle (dont la famille reste propriétaire) n’est autre que le concierge. C’est dire si Anny a marqué l’histoire du Palais Stoclet, presque au même titre qu’Adolphe et Suzanne.
En fait, Anny Stoclet a consacré près de la moitié de sa vie au Palais Stoclet, à son entretien, à son prestige, perpétuant les traditions de mécénat artistique chères à Adolphe et Suzanne Stoclet. Comme ses beaux-parents, elle accueillait régulièrement des artistes à la maison, souvent d’origine flamande d’ailleurs : Jef van Tuerenhout, Octave Landuyt, Roger Wittevrongel… Comme ses beaux-parents, elle proposait à ses invités de manger dans de la vaisselle et de l’argenterie dessinées par Hoffmann. Comme ses beaux-parents, elle organisait de nombreux concerts dans la demeure familiale, notamment avec les lauréats du Concours Reine Elisabeth ou dans le cadre du festival Ars Musica fondé par Paul Dujardin et Bernard Foccroulle (festival dont elle allait devenir la présidente). A partir de là, il était tout à fait normal qu’elle reçoive le titre de baronne…
En ce qui concerne l’entretien des lieux, la Baronne Stoclet assumait parfaitement le leadership avec l’assistance de son petit-fils Laurent Flagey (qui supervise aujourd’hui le programme de restauration de la maison). C’est ainsi que le 30 mars 1976, son travail fut récompensé par la première procédure de classement du bâtiment. Après sa mort, la Région de Bruxelles-Capitale initia 2 autres procédures de classement, le 13 octobre 2005 et le 9 novembre 2006. Mais le plus bel hommage « post mortem » à Anny Stoclet fut sans conteste celui accordé par l’UNESCO le 27 juin 2009 lorsque le Palais Stoclet fut inscrit sur la liste du patrimoine mondial (comme la Grand Place ou les habitations majeures de Victor Horta). Le trésor bruxellois de Josef Hoffmann était reconnu « comme jalon essentiel de l’architecture préfigurant l’architecture moderne et comme chef d’œuvre de créativité ». Maintenant que la Baronne Stoclet n’est plus de ce monde et que la famille semble se déchirer, se (re)pose forcément la question vitale de l’avenir du Palais Stoclet. Suite au dernier épisode…
Paul Grosjean
Chroniqueur bruxellois
+32 477 336 322