Soutenir le secteur HORECA, c’est soutenir le patrimoine bruxellois
Ludivine de Magnanville, Présidente de la Fédération HORECA Bruxelles, vient de lancer l’alerte face à la hausse inquiétante des faillites dans son secteur. Ce sont des centaines d’emplois qui sont menacés dans la capitale. Et au-delà de ce risque fondamental, le patrimoine bruxellois pourrait être la victime collatérale de ce séisme. De nombreux « établissements de bouche » ne font-ils pas partie des trésors de Bruxelles ?
Estaminets, cabarets, tavernes, assommoirs, bistrots, caboulots, troquets, comptoirs, buvettes, cafés, bodegas, bars, caberdouches, brasseries, restaurants, ils font partie des racines bruxelloises depuis le Moyen-Âge. Anciens ou contemporains, artistiques, littéraires, politiques ou populaires, ils contribuent à l’atmosphère de la ville. C’est peu dire qu’ils constituent un patrimoine exceptionnel. Afin de vous en convaincre, il vous suffit de lire « Bruxelles et ses cafés », le superbe livret rédigé par Anne-Marie Pirlot dans le cadre de la collection « Bruxelles, Ville d’Art et d’Histoire ».
A Paris, il y a, par exemples, Le Chat Noir, Les Deux Magots et la Closerie des Lilas. A Bruxelles, il y a La Mort Subite, le Fallstaff, le Cirio, L’Archiduc, La Fleur en Papier Doré, L’Espérance, La Taverne du Passage, le Belga. Toutes ces enseignes existent toujours, permettant à de multiples publics contemporains de déguster leurs fabuleux décors hérités du passé. Hélas, d’autres établissements, très célèbres en leur temps et, forcément, beaucoup plus nombreux, ont disparu. Citons simplement le Café de la Maison du Peuple, sacrifié en 1965 sur l’autel de la bruxellisation et la Taverne Royale, sise dans la Galerie du Roi, là où Joseph Niels inventa le filet américain en 1924 et qui fit faillite en 1957.
Heureusement, certains établissements, qui ont dû fermer, devraient rouvrir, comme le flamboyant Café de l’Hôtel Métropole. D’autres ont pu se réinventer. C’est le cas du Café Delune, anciennement Café Greenwich, à la Rue des Chartreux, à proximité de la Bourse. Construit en 1914, ce café est surtout apprécié par toutes celles et tous ceux qui se confrontent aux échecs. La légende raconte que René Magritte venait souvent y jouer malgré son niveau de jeu très faible. Classé en 2010, le bâtiment fut rénové en 2011 en son bar à échecs. En réalité, l’intérieur est quasiment intact, qu’il s’agisse des boiseries, des miroirs, des colonnes, des tables en fonte ou de la caisse enregistreuse. Aujourd’hui, le Café Greenwich est devenu le Café Delune, en hommage à l’architecte Art Nouveau Aimable Delune (à ne pas confondre avec son frère Léon Delune). Après le concept de bistrot, c’est le retour à l’ambiance de café avec, en surplus, une programmation artistique. Pour le plus grand plaisir des clients…
Enfin, il y a les établissements tombés en faillite et qui parviennent à renaître de leurs cendres. Dans cette catégorie qui nous incite à l’optimisme, le cas le plus frappant est celui du Chapeau Blanc, près de la Place de la Vaillance. Créé en 1890, ce restaurant de quartier, bien connu des supporters d’Anderlecht, a fait le plongeon début 2023 à la suite de la Covid, des difficultés sectorielles et des travaux de la Rue Wayez. Il s’est alors produit un miracle comme on les aime. A l’initiative de Thierry Huart-Eeckhoudt, actif dans les startups, 16 voisins se sont coalisés pour reprendre la taverne. Leur point commun est qu’ils n’ont aucune expérience du secteur HORECA. Après avoir réuni le capital nécessaire, ils sont parvenus à recruter un chef et un gérant de renom. Et, depuis la réouverture du 15 novembre, le numéro 200 de la Rue Wayez ne désemplit pas. Voilà une superbe illustration de ce que les Bruxellois sont capables de se mobiliser pour sauver leur patrimoine…
Paul Grosjean
Chroniqueur historique
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