Chronique n° 15 du 11 décembre 2023

Le Crime de l’Orient-Express – Copyright Isabelle De Beir

De la Compagnie des Galeries à la Compagnie des Wagons-Lits

Il y a 70 ans naissait la Compagnie des Galeries. Pour célébrer cet anniversaire prestigieux, David Michels et Fabrice Gardin proposent à leur nombreux public une production tout à fait exceptionnelle : Le Crime de l’Orient-Express d’après Agatha Christie. Ce spectacle grandiose, qui s’inscrit parfaitement dans l’esprit du plus grand théâtre de Bruxelles, ne doit pas nous faire oublier que le Théâtre Royal des Galeries fait partie intégrante de l’identité bruxelloise…

Rappelons que le Théâtre des Galeries fut ouvert au public le 7 juin 1847, avant-même que les Galeries Saint-Hubert ne fussent inaugurées par Léopold Ier. En réalité, le génial inventeur de ces galeries, Jean-Pierre Cluysenaar (1811-1880), avait établi que ce passage devait être animé par le commerce et la culture. « Si le théâtre s’enrichit de la circulation du passage, écrivit l’architecte d’origine hollandaise, il fournira lui-même un contingent à cette circulation, il contribuera, pour sa part, en définitive, à la richesse des galeries ». En d’autres termes, le Théâtre des Galeries fut dès le départ le cœur du réacteur des Galeries Saint-Hubert. Et pourtant, pendant plus d’un siècle, entre 1847 et 1951, ce théâtre ne fut pas, à proprement parler, un… théâtre ! Essentiellement sous l’égide de directeurs français, la programmation était, au 19e siècle, davantage dédiée à l’opéra, à l’opéra-comique et à l’opérette. Et, durant la première moitié du 20e siècle, quand le vrai théâtre était à l’affiche, il venait de Paris. Tous les plus grands comédiens français ont ainsi connu le théâtre de la Galerie du Roi à l’occasion de leurs tournées (dont les fameux Galas Karsenty). Ce théâtre bruxellois était, en quelque sorte, le partenaire des compagnies parisiennes. La principale exception dans ce domaine fut évidemment Le Mariage de Mademoiselle Beulemans. Cette pièce (créée au Théâtre de l’Olympia de Bruxelles le 18 mars 1910) avait été coécrite par Fernand Wicheler et Frantz Fonson (alors directeur du Théâtre des Galeries).

C’est à partir de la saison 1952/1953, alors que l’INR (future RTBF) lançait la télévision, que le Théâtre des Galeries entra dans une nouvelle dimension. C’est à ce moment-là que ses deux directeurs, Aimé Declercq et Lucien Fonson (fils de Frantz), firent appel à Jean-Pierre Rey qui fonda, à leur demande, la Compagnie des Galeries. Pour la première fois, le Théâtre des Galeries pouvait programmer ses propres productions selon quatre axes fondamentaux : littéraire, classique, gai et moderne. Jean-Pierre Rey joua donc un rôle déterminant dans l’histoire de ce grand théâtre bruxellois. Il imagina un type de programmation composite, galvanisa ses acteurs, créa un style, mobilisa un immense public, fit essaimer la Compagnie des Galeries partout en Belgique et, parfois même, à l’étranger. Difficile d’oublier, entre autres, Christiane Lenain, Jacqueline Bir, Francine Blistin, Louise Rocco, Serge Michel, Jacques Lippe, Jean-Pierre Loriot, Stéphane Steeman… Et quand il prit le relais de Jean-Pierre Rey en 1998, David Michels poursuivit avec talent l’œuvre du fondateur de la Compagnie en l’amplifiant. C’est ainsi que les années 2000 permirent de révéler de nouveaux acteurs et de nouvelles pièces au goût du jour. Pascal Racan, Martine Willequet, Marie-Paule Kumps, Maria Del Rio, Daniel Hanssens, Bernard Lefrancq furent ainsi portés au firmament du Théâtre des Galeries (peint par Magritte).

Aujourd’hui, en cette période des fêtes, le Théâtre Royal des Galeries veut innover pour célébrer le 70e anniversaire de la Compagnie. Au lieu de dérouler la traditionnelle « Revue » de fin d’année, David Michels propose une première en langue française : Le Crime de l’Orient-Express selon la très « british » Agatha Christie. Soulignons que ce roman, adapté au théâtre par Ken Ludwig, possède de forts accents belges puisque le détective chargé d’élucider l’affaire n’est autre qu’Hercule Poirot (originaire de la région spadoise). Sans oublier que l’Orient-Express appartient à la Compagne des Wagons-Lits, fondée en 1872 par le Liégeois Georges Nagelmackers. Et, maintenant, ce sont les Belges qui assurent la première adaptation francophone de cette pièce inspirée de l’œuvre d’Agatha Christie (autrice souvent programmée au Théâtre des Galeries). Et nos compatriotes ne font pas les choses à moitié. Plus qu’une ordinaire pièce de théâtre, il s’agit d’un véritable spectacle visuel. Parce qu’ils sont parvenus à renouveler le genre, saluons donc la mise en scène de Fabrice Gardin et la scénographie de Ronald Beurms. Je laisserai le mot de la fin à mon excellente consoeur de La Libre Belgique, Stéphanie Bocart, qui résume parfaitement ma pensée : « Que l’on ait lu ou non Agatha Christie, ‘Le Crime de l’Orient-Express’ aux Galeries est un pur moment de plaisir, qui démontre, s’il le fallait encore, tout le savoir-faire et la prouesse des arts vivants ». Vous avez jusqu’au 21 janvier 2024 pour vivre un tel moment…

Paul Grosjean

Chroniqueur historique

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