Chronique n° 23 du 12 février 2024

Honneur aux résistants congolais pendant l’Occupation

Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler de patrimoine immatériel et, plus particulièrement, d’un épisode totalement inconnu de l’Histoire de Bruxelles durant la Seconde Guerre mondiale. Dans son livre, Une vie sous silence, paru aux Editions Racine, Eva Kamanda retrace, avec Kristof Bohez, la vie de son arrière-grand-père, François Kamanda, qui fut parmi les premiers Congolais à vivre en Belgique et qui épousa, en 1942, une Belge. Cette saga est d’autant plus captivante qu’elle met en évidence, pour la première fois, le rôle éminent des Congolais dans la résistance belge contre les nazis. 80 ans après la Libération de Bruxelles, il était temps…

Selon les spécialistes, on peut considérer qu’au cours du second conflit mondial, seulement entre cinq et dix pour cent des Belges ont participé à la Résistance. D’après les recherches d’Eva Kamanda et de Kristof Bohez, cette proportion était au moins le double dans la population congolaise de Belgique (qui représentait à ce moment-là plus ou moins 200 personnes). En réalité, les résistants congolais faisaient partie de l’organisation Armée secrète, anciennement Légion belge. Comme les autres « légionnaires », ils participaient à des actes d’espionnage et de sabotage, à la publication de journaux illégaux ou, même, à des attentats. Ils étaient recrutés par le Président de l’Union Congolaise, Honoré Mongay. Et ils se retrouvaient dans le local de l’Union Congolaise en plein cœur de Bruxelles. Parmi eux, il y avait Isidore Bataboudila et Etienne Mavakala qui ont aidé des juifs à se cacher des Allemands. Quant à François Kamanda, l’arrière-grand-père d’Eva, il fut le premier coiffeur noir à avoir son propre salon à Bruxelles. Cet espace servait de boîte aux lettres clandestine sous l’Occupation.

A la Libération, les autorités belges ont occulté cette contribution congolaise à la Résistance belge. Cela soulève forcément des questions. Cet oubli fut-il volontaire ? Pourquoi un délégué du Ministère de la Défense a-t-il assisté à une cérémonie de salut au drapeau sur la Grand-Place de Bruxelles en 1946 avec des Congolais que l’Histoire a ensuite zappés ? Pourquoi y a-t-il, depuis 1970, à Schaerbeek, un monument à la mémoire des troupes congolaises qui ont combattu en Afrique mais rien pour honorer les résistants noirs à Bruxelles ? Pourquoi ne trouve-t-on dans aucun livre d’Histoire un récit comme celui sur Kamanda ? Une hypothèse est que les Belges étaient peu fiers après la Guerre de leur comportement durant l’Occupation. Ils n’ont donc pas voulu glorifier excessivement une résistance, certes héroïque, mais minoritaire. A partir de là, il eut été gênant de signaler l’implication supérieure des Congolais. Une autre hypothèse, encore plus basique, est que les Belges n’y ont tout simplement pas pensé car ils ne considéraient pas que les Congolais faisaient partie des leurs. Dans les deux cas, c’est désolant. Mais, quelle que soit l’explication, le livre d’Eva Kamanda et Kristof Bohez a le grand mérite de réparer un oubli de l’Histoire de Bruxelles…

Paul Grosjean

Chroniqueur bruxellois

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