Chronique n° 37 du 22 mai 2024

L’Ommegang est la reconstitution historique de la fête donnée par Bruxelles sur la Grand Place le 2 juin 1549, en l’honneur de Charles Quint… (copyright : Ommegang)

Pas d’identité bruxelloise sans le patrimoine bruxellois !

Le 9 juin 2024, les Belges devront voter aux élections régionales, fédérales, européennes. Dans la foulée de ces 3 enjeux électoraux pourrait s’enclencher un round de négociations en vue d’une nouvelle réforme de l’Etat. Ensuite, en 2029, on célèbrera le 40e anniversaire de la Région de Bruxelles-Capitale. Et, enfin, en 2030, ce sera le Bicentenaire de la Belgique. Sans compter que, tout au long de cette année-là, Bruxelles pourrait être désignée Capitale Européenne de la Culture. C’est dire si notre métropole va être au cœur de l’actualité dans les 6 ans à venir. A partir de là, il est fondamental que la Région de Bruxelles-Capitale puisse affirmer son identité. Cette démarche implique forcément de pouvoir définir au préalable cette fameuse identité bruxelloise. En espérant que toutes les parties prenantes seront impliquées dans ce processus d’autodéfinition. A ce sujet, il me parait primordial de rappeler l’importance du patrimoine bruxellois…

Comme tous les pôles urbains, Bruxelles possède son propre folklore hérité de plusieurs centaines d’années d’existence. Il y a une langue bruxelloise qui n’est ni le Flamand ni le Français. Les linguistes préciseront qu’il y a en réalité 4 dialectes différents. Toujours est-il que si je vous parle de peï, de pils, de carabistouille, de dikkenek, de brol, de drache, vous comprendrez que je suis un brusseleir. Non peut-être ?! Et pour bien vous enseigner ce patois, je vous emmènerais au Théâtre de Toone ou au Théâtre des Galeries. Nous pourrions aller voir Le Mariage de Mademoiselle Beulemans ou Bossemans et Coppenolle. Puis, je vous entraînerais vers le Stade de l’Union Saint-Gilloise en espérant croiser la Zwanze Parade. Ou nous irions vers Anderlecht pour supporter le Sporting et manger au Chapeau Blanc. Avec l’idée d’ingurgiter un bon « filet américain » (dont on va fêter le centenaire cette année). On pourrait par après retourner vers l’Ilot Sacré afin de mirer le Manneken Pis et nous enfiler quelques croquettes de crevettes à la Taverne du Passage. Tout cela nous fait furieusement penser au temps où « Bruxelles bruxellait » comme le chantait le Grand Jacques en 1962…

Ensuite, les vagues migratoires se sont succédé à Bruxelles qui est devenue petit à petit la capitale de l’Europe, tout en accueillant l’OTAN ainsi que de multiples organisations internationales. A un tel point qu’on peut parler aujourd’hui de Zinneke Parade : notre ville-région est une ville-monde. C’est la plus cosmopolite après Dubaï. En tout cas, Bruxelles est une cité plurilingue où la planète entière peut se regarder. Sur un petit territoire de 161 km2, on recense 185 nationalités pour 104 langues parlées. Cela implique qu’il ne faut pas nécessairement parler le français ou le néerlandais pour se sentir bruxellois. Le fait est que tout le monde a l’occasion de s’approprier la langue de tout le monde. Pour s’en convaincre, il suffit de constater l’incroyable diversité des restos bruxellois. Bruxelles est plus que l’addition de 2 communautés. L’identité bruxelloise, ce sont plusieurs couches qui se superposent sans se prendre la tête et dans un esprit d’ouverture. On n’a pas forcément les mêmes origines mais on a une destinée commune. Le défi est par conséquent de renforcer cette cohésion entre toutes les communautés…

Une fois qu’on perçoit les ingrédients de cette « nouvelle identité », on peut constater que les institutions bruxelloises ne reflètent pas la réalité sociologique de leur territoire. Autrement dit, les structures de cette ville-région n’ont pas évolué au même rythme que son identité. Le tissu politique et administratif de la Région Bruxelles-Capitale, qui doit en plus tenir compte de 19 communes, est encore beaucoup trop scindé entre francophones et néerlandophones. Or, un Bruxellois francophone ne se sent pas wallon et un Bruxellois néerlandophone se sent de moins en moins flamand. Bref, la seule façon pour la Région de devenir réellement adulte, c’est de mettre sur pied de nouvelles structures, autonomes et simples. C’est ce à quoi devrait s’atteler la nouvelle législature. Aux futures autorités de définir cette identité et les institutions qui en découlent…

C’est pourquoi il est permis de dire que la question du patrimoine bruxellois est cruciale. Face à de tels enjeux « historiques », la place du patrimoine bruxellois, tout comme celle du matrimoine, doit être valorisée. Dans un esprit métropolitain, il importe de mettre en avant les incroyables richesses patrimoniales de Bruxelles, qu’il s’agisse de biens publics ou de biens privés, qu’il s’agisse d’éléments matériels ou d’éléments immatériels. Edward Leenders, directeur général du Corinthia Grand Hotel Astroria Brussels, a récemment indiqué qu’il fallait arrêter d’avoir un complexe d’infériorité par rapport à Paris ou Londres. Il est essentiel que toutes les Bruxelloises et tous les Bruxellois, quelles que soient leurs origines, se réapproprient leur patrimoine. En mettant en avant leurs merveilles patrimoniales, ils ont l’occasion d’affirmer leur identité régionale. Ils doivent être les premiers porte-parole de leur cité. Souvenons-nous que, du temps de Charles Quint, Bruxelles était la capitale du monde. Et, soulignons qu’aujourd’hui, Bruxelles possède la plus belle place du monde, les plus belles galeries du monde et le plus grand palais de justice du monde. Et si on parle de l’Art Nouveau, on peut rappeler que ce style architectural fut inventé par Victor Horta, du côté de l’Avenue Louise, à l’Hôtel Tassel. J’ajoute que la plus belle demeure Art Nouveau au monde est peut-être située à Woluwe-Saint-Pierre, au Palais Stoclet (hélas toujours inaccessible). Espérons que tous les participants au Grand Débat du Patrimoine Bruxellois de ce dimanche 26 mai à la Bibliothèque Solvay auront à cœur de rappeler l’importance du patrimoine dans le futur de la Région de Bruxelles-Capitale…

Paul Grosjean

Chroniqueur bruxellois

+32 477 336 322

paul@metropaul.brussels