Et le filet américain fut inventé au 23 de la Galerie du Roi…
1924 fut tout à la fois l’année de naissance du surréalisme et du filet américain. C’est en effet il y a cent ans que Joseph Niels, alors directeur de la Taverne Royale, inventa ce met typiquement bruxellois. Cet anniversaire me fournit l’occasion de rappeler l’histoire de cette brasserie, aujourd’hui disparue, qui fut pendant 75 ans le restaurant à la mode du cœur de Bruxelles. Tout comme les établissements Niels par la suite…
Dès l’ouverture des Galeries Royales Saint-Hubert, en 1847, il y avait un restaurant au coin de la Galerie du Roi et de la Rue d’Arenberg. Il était intitulé le Café des Arts. C’est en 1882 que Nestor Catteau, époux de Celina Verrassel, acheta l’établissement et le rebaptisa Taverne Royale. Comme l’écrivit Jacques Dubreucq, la Taverne Royale était l’endroit le plus distingué de la capitale, celui où il fallait voir mais, surtout, être vu. C’était notamment le lieu de rendez-vous du célèbre cercle littéraire La Jeune Belgique qui réunissait, entre autres, Emile Verhaeren et le futur Prix Nobel, Maurice Maeterlinck.
Comme son fils, Robert Catteau, était davantage impliqué dans sa carrière d’avocat et de journaliste, Nestor Catteau s’attacha à former ses deux neveux, Nestor et Paul Frison. A sa mort en 1916, c’est finalement Paul Frison (1878-1933) qui prit le relais de son oncle. Sous sa baguette, la Taverne Royale connut son âge d’or après la Grande Guerre. Le 1er mai 1923, les admirateurs de Maurice Ravel s’étaient ainsi réunis dans les salons de la Royale pour accueillir l’auteur du Boléro. Et c’est un an plus tard que le directeur de l’époque, Joseph Niels (1890-1940), inventa le filet américain. Paul Frison décéda en 1933 à l’âge de 55 ans. Après la Seconde Guerre mondiale, l’activité se poursuivit avec des hauts et des bas ainsi que différentes reprises. Finalement, la Taverne Royale fut déclarée en faillite en 1957…
Joseph Niels, quant à lui, qui avait quitté la Royale en 1926, avait fondé à ce moment-là son propre établissement au 129 du Boulevard Emile Jacqmain, le fameux Canterbury. Ce fut le début de la saga des Niels qui sont une des plus belles dynasties dans la restauration bruxelloise. Les Niels participèrent ainsi à l’animation gastronomique de 4 expos universelles : Bruxelles 1935, Bruxelles 1958, Montréal 1967 et Osaka 1970. Et ils lancèrent pas moins de 8 restaurants à partir de 1968 : le Vieux Saint-Martin, le Chalet Robinson, la Marie-Joseph, le Duc d’Arenberg, le Canterbury, le Grand Forestier, le Savoy et le Claridge.
Depuis 100 ans, dans chacun de leurs restaurants, les Niels mettent en évidence, avec une extrême attention, le filet américain, véritable marqueur de l’identité bruxelloise. C’est pourquoi je me permets de conseiller à cette sympathique famille de rentrer le dossier du filet américain auprès de la direction du Patrimoine Culturel afin qu’il soit inscrit sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de la Région de Bruxelles-Capitale. Si le spéculoos, le fritkot, la bière et le chicon en font partie, pourquoi pas le filet américain ?
Paul Grosjean
Chroniqueur bruxellois
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