Chronique n° 41 du 17 juin 2024

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C’était au temps où Horta était l’avocat de Poelaert…

Si vous avez un cadeau à offrir ou si vous cherchez un livre pour les vacances, je ne peux que vous conseiller d’acheter le superbe opus « Horta avocat de Poelaert » (en référence au texte que l’inventeur de l’Art Nouveau écrivit sur le génial concepteur du Palais de Justice). Dans le contexte de la rénovation du Palais de Justice, cet ouvrage (édité par le CIVA et urban.brussels) a le grand mérite de nous rappeler l’affectation originelle de ce qui est aujourd’hui le plus grand bâtiment historique du monde. Comme l’avait indiqué Victor Horta en son temps, Joseph Poelaert fut trahi dès le départ par les autorités qui devaient sans cesse aménager l’édifice. Force est de constater que ce Palais, tout comme son concepteur, n’a jamais été aimé. Sauf peut-être par les avocats…

L’idée de ce livre part d’un texte inédit de Victor Horta (1861-1947) sur Joseph Poelaert (1817-1879), retrouvé dans les archives du Musée Horta par les architectes Thierry Henrard et Thomas Greck. Horta avait, en fait, entamé, pendant la Seconde Guerre mondiale, ce livret qu’il avait intitulé  « La Leçon du Palais de Justice ». L’opuscule était inachevé quand il décéda en 1947. Toujours est-il qu’il s’y faisait le défenseur de l’architecte du palais inauguré en 1883 (alors que Horta n’avait que 22 ans et que Poelaert était mort depuis 4 ans). Il faut dire qu’il connaissait particulièrement bien le sujet puisque, entre 1919 et 1936, il avait siégé au sein de la commission chargée du suivi des travaux de modification en tant que représentant de la Commission Royale des Monuments et Sites. Sa théorie était que le sens premier du bâtiment, en l’occurrence sa fonctionnalité et sa beauté, avait été perdu au cours de ses transformations successives. Le livre montre d’ailleurs très bien, au travers des photographies contemporaines de Bas Princen, la multitude des interventions, petites ou grandes, qui se sont accumulées au fil des ans.

Comme l’explique dans le livre le grand spécialiste de la rénovation, l’architecte Francis Metzger, en vérité, nul ne connait vraiment le Palais de Justice, tant il est complexe, tant il a été dénaturé au fil des ans, comme toute pièce architecturale d’ailleurs. Le temps ne laisse plus voir de l’extérieur qu’un tricot d’échafaudages surmonté d’une coupole dont beaucoup considèrent qu’elle ne correspond pas aux dessins originaux de son auteur. Mais, poursuit Francis Metzger, comme on ne dispose plus de la culture architecturale, ni des codes de lecture nécessaires pour apprécier pleinement la complexité de ce style éclectique, appréhender la restauration d’une œuvre aussi exceptionnelle que le Palais de Justice s’avère un exercice complexe. Qu’est-ce qui s’est perdu entre l’intention de départ et ce qu’on observe aujourd’hui ? Qu’est-ce qui est de l’ordre du patrimoine ? Quels sont les éléments de première importance ? Ceux à restaurer ? Ceux à gommer ? Pour pouvoir répondre à ces questions essentielles, il est à espérer que les responsables de la Régie des Bâtiments, lorsqu’ils travaillent sur le Palais de Justice, soient inspirés par Victor Horta…

Paul Grosjean

Chroniqueur bruxellois

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