Chronique n° 48 du 5 août 2024

Jean Cocteau faisait partie des célébrités qui fréquentaient le Palais Stoclet… (copyright : Shutterstock 2167123241)

Palais Stoclet, de l’art total au bonheur total (Saga Stoclet/Episode 4)

Josef Hoffmann avait reçu comme mission, non seulement de construire une maison familiale de nature à épanouir les époux Stoclet et leurs trois enfants, mais aussi de concevoir un écrin à leur considérable collection d’œuvres d’art du monde entier, tout en leur permettant d’assouvir leur goût pour la musique et de recevoir des invités de marque dans des espaces de prestige. Force est de constater qu’Hoffmann a rempli sa mission au-delà de toute espérance et que, malgré deux guerres mondiales, les époux Stoclet ont pu atteindre, pendant près de quatre décennies, dans leur temple du modernisme, leurs rêves (presque) inaccessibles de bonheur…

Suzanne Stevens, fille d’un grand collectionneur et nièce de deux peintres célèbres, avait inoculé le virus de l’art à son mari (même si Adolphe avait déjà commencé à collectionner, notamment des estampes japonaises, avant de rencontrer Suzanne). En vérité, le couple Stoclet-Stevens était attiré par les arts premiers : africain, océanien, olmèque, toltèque, maya, persan, chinois, mérovingien, italien… Sachant qu’Adolphe était passionné par l’Italie, on ne s’étonnera pas de trouver, entre autres, Duccio, Giotto, Piero della Francesca dans sa collection (intitulée par certains Stocleon). En d’autres termes, dans cet ensemble unique, il n’y avait pas d’œuvres datées entre 1475 et 1900. Par contre, il y avait quelques artistes contemporains dont, bien sûr, George Minne, Fernand Khnopff, Gustav Klimt… Comme l’écrivit le marchand d’art parisien Jacques Seligmann, « l’acte de collectionner irriguait la vie des Stoclet ».

Mais il n’y avait pas que la peinture et la sculpture dans le Palais Stoclet. Adolphe et Suzanne étaient aussi de grands amateurs de musique. Ce n’est donc pas par hasard s’ils avaient demandé à Hoffmann de prévoir un salon de musique au cœur de leur demeure. Cette salle devint, de leur vivant, un haut lieu bruxellois de l’avant-garde musicale et du jazz ainsi que de la danse moderne ou orientale. La famille s’adonnait elle-même à la musique. Et nombreux étaient les mélomanes parmi leurs invités prestigieux (et moins prestigieux).

En réalité, tout était prétexte à la fête dans le Palais Stoclet. La maison était conçue pour accueillir plein de gens (notamment dans la grande salle à manger avec la frise de Klimt). Parmi ceux-ci, il y avait de nombreuses personnalités. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer au fameux livre d’or (dont la conception était due à Josef Hoffmann). Y figurent les signatures de Jean Cocteau, Paul Claudel, Sacha Guitry, Anatole France, René Huyghe, Serge de Diaghilev, Darius Milhaud, Igor Stravinsky, Robert Mallet-Stevens… Côté belge, on pointera de nombreux peintres comme Valerius De Saedeleer, Gustave van de Woestyne, Theo Van Rysselberghe. Il y avait aussi Emile et Marthe Verhaeren. Et puis, n’oublions pas les architectes : Jules Brunfaut, Henry Van de Velde, Victor Horta… Par ailleurs, à ma connaissance, le seul homme politique invité au Palais Stoclet fut Emile Vandervelde, Président du Parti Ouvrier Belge (POB). En fait, les industriels et les financiers n’étaient pas conviés au Palais Stoclet, si ce n‘est ceux qui partageaient l’amour de l’art avec Adolphe et Suzanne, à l’instar d’Emile Tassel ou de David van Buuren. Sans compter, bien sûr, les habitués de la maison dont Octave Maus, Paul Fierens Gevaert, Philippe Wolfers, Marcel Wolfers…

Adolphe Stoclet décéda à son domicile le 3 novembre 1949 et Suzanne Stevens le rejoignit quelques jours plus tard, le 16 novembre 1949. Ils étaient unis dans la mort comme dans la vie, après 38 années de partage de ce bonheur familial et de ce virus esthétique. D’où la comparaison par certains entre le Palais Stoclet et le Taj Mahal. Par la suite, leurs descendants allaient préserver avec talent ce patrimoine, tant matériel qu’immatériel. A découvrir la semaine prochaine dans le cinquième épisode de notre saga de l’été…

Paul Grosjean

Chroniqueur bruxellois

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