Au cimetière du Dieweg, tous les chemins mènent à Hergé…
D’après Thierry Luthers, grand spécialiste en la matière, le Cimetière du Dieweg à Uccle vaut vraiment le déplacement, ne fut-ce que pour la promenade à travers cette jungle luxuriante qui fait son charme unique. Et aussi pour la qualité des personnalités qui s’y trouvent. Avec, bien sûr, comme point d’orgue, Georges Remi dit « Hergé ». Sans oublier beaucoup d’autres célébrités locales, nationales ou internationales dont je vous livre ici ma « short list »…
Le Cimetière du Dieweg fut créé à la suite de l’épidémie de choléra de 1866 sur un terrain cédé à la commune d’Uccle par la Comtesse Coghen. La première inhumation eut lieu en novembre 1867. Mais dès 1927, il fut saturé. C’est ainsi qu’à partir de la création du cimetière du Verrewinkel, en 1945, les inhumations furent de plus en plus rares au Dieweg, jusqu’à son abandon définitif en 1958. Heureusement, à moment-là, ce joyau de l’art funéraire put échapper à la « Bruxellisation » grâce à l’intervention judicieuse de la commune qui eut la bonne idée de ne pas le remplacer par un luxueux complexe immobilier. Les rares inhumations qui eurent lieu après 1958 se firent dans des caveaux préexistants. Et seules deux dérogations spéciales furent accordées, l’une en 1983 à Georges Remi (qu’on ne présente plus) et l’autre en 1996 au violoniste d’origine lettonne Philippe Hirshhorn, lauréat du Concours Musical International Reine Elisabeth de 1967. Le site du Cimetière du Dieweg fut classé dans son ensemble le 16 janvier 1997. En ce qui concerne les « pensionnaires » du cimetière, outre Hergé, je pourrais vous parler de l’architecte Paul Hankar ou d’Isabelle Gatti de Gamond ou des Bourgmestres ucclois Hubert Dolez et Xavier de Bue ou des Familles Errera, Allard et Woeste. Finalement, j’ai choisi trois personnalités qui ont marqué leur époque…
A tout seigneur, tout honneur, commençons par Jean-Pierre Cluysenaar (1811-1880) qui fut, avant Victor Horta et Henry Van de Velde, un des plus grands architectes de notre pays. Certes, il n’a pas inventé un style architectural. Néanmoins, il a laissé à la Belgique quelques chefs d’œuvre inspirés de l’éclectisme et qui concernent tous les types de construction. Comme, bien sûr, les Galeries Royales Saint-Hubert mais aussi la Galerie Bortier (en cours de rénovation), le Marché de la Madeleine, le Château Calmeyn à Drogenbos, le Château d’Argenteuil à Waterloo, l’Hôtel de Meeûs (siège de la Sofina) au Square Frère-Orban, la Ferme du Château de La Hulpe (où se trouve la Fondation Folon), le Conservatoire Royal de Bruxelles à la Rue de la Régence et le mythique Théâtre de l’Alhambra au Boulevard Emile Jacqmain (aujourd’hui disparu). Excusez du peu…
Un autre personnage que je vous invite à découvrir au Cimetière du Dieweg (sur les bons conseils de Thierry Luthers) est Victor de Laveleye (1894-1945). Champion de tennis, il représenta la Belgique aux JO d’Anvers (1920) et de Paris (1924). Mais sa carrière principale se situa dans la sphère publique. Avocat, journaliste, homme politique, il fut l’un des principaux adversaires de Léon Degrelle avant la guerre. Il officia même en tant que Ministre de la Justice pendant quelques mois. Figure de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il rallia rapidement Londres où il devint l’animateur attitré de Radio Belgique (en compagnie notamment de Luc Varenne). Et peu de gens le savent, c’est Victor de Laveleye qui inventa, en 1941, à l’attention des populations belges, le célèbre « V de la Victoire », posture qui fut ensuite immortalisée par Winston Churchill. Il s’éteignit à Ixelles le 14 décembre 1945 à l’âge de 51 ans.
Puis, rappelons-nous qu’il y a une belle brochette de caveaux familiaux à visiter au Cimetière du Dieweg. Parmi ceux-ci, celui des Lambert a retenu mon attention. Il s’agit d’une grande dynastie de banquiers. Tout commença avec Samuel Lambert (1806-1875) qui fut introduit dans le monde de la finance par les Rothschild. C’est lui qui fonda la Banque Lambert. Son fils Léon (1851-1919) et son petit-fils Henri (1887-1933) prirent le relais. Mais c’est son arrière-petit-fils, Léon Lambert (1928-1987), qui marqua les esprits. Avec l’architecte new yorkais Gordon Bunshaft (1909-1990) et l’entrepreneur Blaton, il réalisa l’un des plus beaux immeubles modernistes de l’après-guerre à Bruxelles : le siège à l’Avenue Marnix de la Banque Lambert (qui allait devenir la BBL et, ensuite, ING). Tout à la fois banque et musée, le building avait (et a toujours) fière allure face au Palais Royal. Au sommet de l’édifice, le Baron Lambert avait installé son immense penthouse de 600 m2 qui était considéré comme le plus bel appartement de la capitale de l’Europe. C’est là qu’était exposée une grande partie de sa fameuse collection (Degas, Giacometti, Bacon, Pollock…). Léon Lambert décéda en 1987 du sida sans laisser derrière lui ni épouse ni descendance…
Enfin, en parcourant, le Cimetière du Dieweg, vous ne pourrez pas rater la tombe d’Hergé vu qu’elle est fléchée. Ce type de signalisation est d’ailleurs très rare dans les cimetières (*). En fait, le couple Remi résidait au Dieweg. Et c’est pour répondre aux vœux de son épouse, Fanny Vlamynck, que les autorités communales acceptèrent, à titre exceptionnel, qu’Hergé reposât dans l’ancien cimetière. Et où Fanny devrait le rejoindre comme vous pouvez le constater sur la photo ci-dessus…
Paul Grosjean
Chroniqueur historique
+32 477 336 322
(*) A la connaissance de Thierry Luthers, le seul équivalent fléché est la tombe de René Magritte à Schaerbeek…