Chronique n° 63 du 15 novembre 2024

La rénovation du Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels est le parfait symbole de l’apport des entreprises au patrimoine bruxellois… (copyright Michel Grossmann)

Au tour des entreprises de sauver le patrimoine bruxellois !

Le patrimoine est un enjeu stratégique pour la Région de Bruxelles-Capitale. Sur ce terrain, saluons l’implication des secteurs public, culturel, scientifique, éducatif, associatif. Mais vu le contexte budgétaire, les entreprises devraient aussi être amenées à jouer un rôle éminent…

En 2029, la Région de Bruxelles-Capitale fêtera ses 40 ans. Un an plus tard sera célébré le bicentenaire de la Belgique. Dans cette perspective historique, le rayonnement de la Région de Bruxelles-Capitale doit être un objectif majeur. A ce propos, point n’est besoin d’expliquer l’importance du patrimoine bruxellois, tout comme celle du matrimoine. Il convient de valoriser les incroyables merveilles de Bruxelles. Et pour y arriver, toutes les forces vives se doivent de faire cause commune. A ce niveau, le secteur professionnel devrait occuper une position grandissante dans les années à venir…

Ceci étant dit, avant de mettre en valeur le rôle majeur que les entreprises pourraient jouer dans la pérennisation du patrimoine bruxellois, il est nécessaire de faire référence au passé. Force est de constater qu’à la suite de l’Expo 58, pendant une vingtaine d’années, la promotion immobilière a fait d’immenses dégâts parmi les trésors de Bruxelles. Rappelons-nous la destruction de la Maison du Peuple au Sablon et de l’Hôtel Aubecq à l’Avenue Louise. Ces deux chefs d’œuvre de Victor Horta furent sacrifiés sur l’autel de la « Bruxellisation ». Ce vocable fut inventé par les urbanistes pour désigner les bouleversements d’une ville livrée aux promoteurs au détriment du cadre de vie de ses habitants, tout cela sous couvert d’une « modernisation incontournable ». Face à un tel péril, le secteur public joua parfois son rôle. Souvenons-nous que sans l’intervention énergique de Cécile Goor (hélas récemment décédée), le Parc Tenbosch à Ixelles serait devenu une barre d’immeubles. Et puis, c’est tout un écosystème associatif qui s’est mis en place pour lutter contre la « Bruxellisation » : ARAU, Inter-Environnement Bruxelles, Quartier des Arts, Demeures Historiques…

Aujourd’hui, heureusement, les entreprises sont conscientes de leur responsabilité sociétale. En réalité, le monde professionnel assume, depuis longtemps, des missions indispensables à la sauvegarde du patrimoine. Tout d’abord, rappelons que les sociétés sont actives en tant que propriétaires. Dans ce registre, on pourrait pointer tout simplement la Société des Galeries Royales Saint-Hubert, fondée en 1845, qui gère un des plus beaux passages historiques d’Europe. Et après les propriétaires, osons maintenant parler de ces « horribles » promoteurs immobiliers. Acceptons que leur savoir-faire puisse être très utile quand il s’agit de rénover le patrimoine. Le cas le plus emblématique à ce sujet est celui de Cores qui a réinventé la Royale Belge, rehaussée récemment par le Prix Europa Nostra. Enfin, n’oublions pas de citer des investisseurs comme, par exemple, Cohabs qui a rénové en partie le Passage du Nord à la Place de Brouckère pour en faire un espace de coliving.

Puis, au-delà des milieux immobiliers, il y a ces innombrables sociétés du secteur de la construction qui mettent leurs expertises au service du patrimoine bruxellois : architectes, architectes d’intérieur, décorateurs, paysagistes, artisans, ébénistes, entrepreneurs… Sans oublier que s’il est un secteur économique qui est également très concerné par le patrimoine bruxellois, c’est bien celui de l’hôtellerie. Dois-je vous rappeler la superbe rénovation du mythique Hôtel Astoria à la Rue Royale ? Je pourrais aussi vous parler de l’Hôtel Amigo près de la Grand-Place ou de l’Hôtel Juliana à la Place des Martyrs…

De manière globale, en ce qui concerne l’avenir du patrimoine bruxellois, il est évident que le contexte budgétaire des pouvoirs publics est l’obstacle principal, que ce soit sur le plan fédéral, communautaire, régional ou communal. Sans financement, le patrimoine est en danger. C’est là que l’apport des entreprises pourrait être déterminant. Comme l’a suggéré récemment Arnaud Vajda, Président du Comité de Direction de Belspo, organisme qui gère toute la politique scientifique sur le plan fédéral (IRM, ORM, Tervueren…), pourquoi pas rénover les musées royaux avec l’aide du secteur privé ? Intéressante suggestion de la part d’un haut fonctionnaire. Hélas, tout cela ne sera possible que si le mécénat culturel bénéficie d’un véritable cadre légal et fiscal (à l’image de la loi Aillagon en France). Ainsi que le demande l’asbl Promethea, il faut s’atteler à une définition spécifique du mécénat qui le distinguerait de la philanthropie et du sponsoring ainsi qu’à un cadre fiscal à même de stimuler les entreprises mécènes dans leurs investissements sociétaux…

Enfin, il est un dernier enjeu sur lequel les entreprises pourraient aussi s’engager : c’est celui de la promotion des trésors de Bruxelles. Il faut tout mettre en œuvre pour rendre notre patrimoine populaire. C’est la seule façon de mobiliser toute la classe politique pour la bonne cause. Le jour où les questions patrimoniales feront réellement partie du débat électoral, ce sera le début de la solution. Or, le patrimoine, si ça se protège, si ça s’étudie, si ça se rénove, si ça s’entretient, si ça se gère, si ça s’enseigne, si ça se visite, ça se raconte aussi ! Rien de tel que d’offrir à nos concitoyens de vrais récits historiques qui vont les passionner. Donnons les moyens aux auteurs, aux narrateurs, aux communicateurs de raconter les splendeurs de la Capitale de l’Europe. Faisons que toutes les Bruxelloises et tous les Bruxellois soient fiers de leur patrimoine. Comme le dit Thierry Geerts, le nouveau « patron des patrons bruxellois », tout le monde doit contribuer à rehausser l’attractivité de Bruxelles. Y compris les entreprises…

Paul Grosjean

Fondateur du label TRÉSORS DE BRUXELLES

www.tresorsdebruxelles.be