Enfin un grand débat électoral sur le patrimoine bruxellois !
Le dimanche 26 mai 2024, Edificio, avec le concours de Trésors de Bruxelles, a organisé le premier Grand Débat du Patrimoine Bruxellois. Ordre des Architectes, ARAU, Quartier des Arts, Commission Royale des Monuments et Sites, Demeures Historiques, Promethea, le gratin du secteur patrimonial s’est réuni, dans le cadre hautement symbolique de la Bibliothèque Solvay, pour interpeller le monde politique. Celui-ci était représenté, dans le cas présent, par 3 leaders de premier plan : Pascal Smet (Vooruit), Philippe Close (PS) et David Leisterh (MR). Force est de constater que le patrimoine bruxellois est un sujet suffisamment fédérateur pour susciter une forme de consensus au sein des partis. C’est sans doute la principale leçon à retirer de ce premier Grand Débat du Patrimoine Bruxellois…
A commencer par Pascal Smet qui a défendu, au nom de Vooruit, son bilan dans le domaine. Il a mis en évidence le fantastique succès de l’Année de l’Art Nouveau et ses presque 2 millions de visiteurs, en espérant que l’Année de l’Art Déco, en 2025, sera du même tonneau. Evoquant la destruction de la Maison du Peuple (à laquelle le PS fut associé), il rappela que « Bruxelles était traumatisée par son passé ». Il souligna ainsi l’importance d’avoir réalisé l’inventaire du patrimoine. Selon lui, il faut poursuivre les classements des trésors architecturaux de Bruxelles même si cela commande de revoir à la hausse les budgets de subsidiation. D’où l’idée de penser à des formules alternatives de financement. En fait, l’ancien Secrétaire d’Etat considère qu’« il faut investir de façon non dogmatique dans le patrimoine ». Il importe également de « favoriser l’accès du public aux merveilles bruxelloises », citant en exemples l’Hôtel Solvay, la Maison Hannon, l’Hôtel van Eetvelde et, peut-être, le Palais Stoclet. Seul bémol : le manque d’« audace » de l’architecture contemporaine. Tout en reconnaissant que la prolifération des procédures et recours aboutissait à édulcorer le travail des architectes. Halte aux « zones grises » !
Place à la modernité
Avec Philippe Close, on a eu évidemment à faire à l’expert du PS bruxellois en matière de patrimoine. Quand on est Bourgmestre de la Capitale du Royaume, cela implique forcément certaines missions patrimoniales. Jouant à domicile, il a salué « l’extraordinaire travail de Francis Metzger dans la rénovation de la Bibliothèque Solvay », encourageant les populations à visiter de tels espaces iconiques. Il ajouta que la réussite des lieux tenait au partenariat entre la Ville de Bruxelles, Citydev et Edificio. Tout comme « le renouveau du Parc Léopold repose notamment sur la contribution des instances européennes ». Dans le même ordre d’idées, il a mis en exergue l’ouverture au public des serres royales, expliquant que la collaboration avec la Famille Royale allait dans le bon sens. Par ailleurs, il a révélé que la Ville de Bruxelles allait s’investir dans la revalorisation des rampes d’accès au Palais de Justice depuis les Marolles, en demandant que l’affectation du bâtiment à la Justice soit pérennisée. Une annonce qui a eu le don de satisfaire le Président du Quartier des Arts, Jean-Pierre Buyle. Autre révélation : il semblerait que le processus de réaménagement de la Place du Grand Sablon soit réenclenché à l’initiative d’une association. Philippe Close en a profité pour rappeler la splendeur de l’Eglise Notre-Dame du Sablon (et ses 500.000 visiteurs annuels) ainsi que de bien d’autres églises (ce qui peut surprendre de la part d’un ardent défenseur de la laïcité). Dans la perspective du bicentenaire de la Belgique, le candidat PS suggère qu’on fasse la liste des biens à rénover. Il a ainsi cité la Colonne du Congrès et le Parc du Cinquantenaire. Soulignant qu’à chaque rénovation doit correspondre un projet, le Bourgmestre de Bruxelles a insisté sur la nécessité de tenir compte de la fonctionnalité. Pour ce faire, il s’est référé au Louvre et à sa pyramide. « Il faut admettre une certaine modernité car les habitudes changent ». Bref, la question de la réaffectation de tout bâtiment restauré est essentielle. Comme c’est le cas pour l’Espace Vanderborght… Autre enjeu majeur : la revalorisation de l’espace public. A ce propos, il a reconnu que tout était encore à faire à la Place d’Espagne et à la Place Poelaert. Enfin, n’oubliant pas qu’il était juriste, Philippe Close a plaidé pour faire évoluer la notion de propriété, en référence à la dation et à la Collection Gillion-Crowet.
Financement alternatif
Dernier intervenant politique, David Leisterh (qui sortait à peine de sa douche après avoir fait les 20 kilomètres de Bruxelles). Il a reconnu, comme ses deux prédécesseurs, la qualité du travail accompli. « Même si le MR n’est plus au pouvoir depuis fort longtemps en Région de Bruxelles-Capitale, je dois avouer qu’il y a eu de belles réalisations au cours des dernières années, comme la réhabilitation de la Royale Belge à Boitsfort. Cela prouve qu’on peut aller vite quand la volonté politique est présente. La rénovation du Parc du Cinquantenaire est une autre bonne idée ». Cela veut-il dire que le leader du MR bruxellois ne voit que du positif dans la politique régionale du patrimoine ? Que nenni, bien sûr ! Et le Boitsfortois d’énumérer quelques points noirs comme les blocs de béton qui fleurissent çà et là à Bruxelles, de par la grâce du plan Good Move, enlaidissant le paysage urbain. D’une manière plus générale, il a fustigé les lenteurs administratives. Il a ainsi déploré les délais pour obtenir des permis en Région de Bruxelles-Capitale. « Cela peut prendre plus d’un an alors qu’en France, la moyenne pour obtenir un permis sur un bâtiment classé est de 8 mois ». Il a plaidé notamment pour raccourcir les procédures de concertation, répondant à une question de Marion Alecian, Directrice de l’ARAU. En matière de financement alternatif du patrimoine, David Leisterh va plus loin que ses deux compères socialistes, ce qui ne fut pour déplaire à la Directrice Générale de Promethea, Nadia Abbes. « L’objectif ultime est évidemment que le patrimoine participe au renouveau urbain, comme ce fut le cas en Ecosse après Glasgow 1990. Pour autant que l’audace soit au rendez-vous… ».
Parmi toutes les interpellations émanant du secteur lors des débats, pointons celle de Stefaan Van Acker, le nouveau Président de la Commission Royale des Monuments et Sites (organisme dont la qualité du travail fut reconnue par les trois leaders politiques). Il mit notamment en avant la nécessité de renouveler les espaces publics et l’importance de la transition énergétique.
Quant à Joan Condijts, Directeur Editorial du magazine Forbes Belgique, il était chargé de tirer les conclusions de ce forum. Pour lui, « le patrimoine ne se rattache pas qu’au passé ». Il y a aussi l’environnement du bâtiment à intégrer. Et puis, l’ancien Rédacteur en Chef de L’Echo ne put s’empêcher, comme les autres, de regretter le manque d’audace des projets contemporains. En d’autres termes, « quels sont les projets d’aujourd’hui qui seront le patrimoine de demain ? ». Pour clôturer, lors de ses remerciements à tous les participants à ce premier Grand Débat du Patrimoine Bruxellois, le maître de maison, Didier Goffart, au nom d’Edificio, vanta les vertus du partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Suite au prochain épisode…
Pour toute information sur le Grand Débat du Patrimoine Bruxellois :
Paul Grosjean
Chroniqueur bruxellois
+32 477 336 322